Intérim : la rentabilité, une stratégie d’équilibriste !

Intérim : la rentabilité, une stratégie d’équilibriste !

Après avoir été lourdement impacté par la criseCovid-19 puis avoir atteint un niveau ‘’flamboyant’’ historique en 2022, le marché de l’intérim a de nouveau fortement chuté (-8%) au dernier trimestre2023. Face à ces renversements aussi abrupts qu’incessants, les entreprises de travail temporaire -ETT- mettent tout en œuvre pour préserver leur rentabilité tout en confortant leurs parts de marché.

Il est communément admis par les acteurs de l’intérim que la donne a changé. Le secteur n’est plus un long fleuve tranquille comme on pouvait le penser historiquement. Il est un marché en tension constante depuis la crise Covid-19. Le cabinet de conseil en fusions-acquisitions Auris avance que « depuis la crise sanitaire, les entreprises préfèrent pérenniser des talents en interne en leur proposant de reconduire leur CDD ou de les faire évoluer vers un CDI. »Ainsi, pour beaucoup d’entreprises, le travail temporaire c’est le dernier recours.

Aussi, les ETT se mobilisent pour préserver leurs parts de marché tout en demeurant rentables. Découvrez cette stratégie d’équilibriste !

Bénéficier des aides pour être plus compétitif

Parce que préserver ses parts de marché est majoritairement synonyme de tarifs attractifs, les ETT bousculent leurs habitudes.

Pour schématiser, la facture d’une ETT est composée de la rémunération de l’intérimaire (salaire mensuel, primes, indemnités de fin de mission, indemnité compensatrice de congés payés, charges sociales et fiscales…) ainsi que de la marge commerciale et des frais de gestion administrative de l’ETT (sourcing, recrutement, déclaration préalable à l’embauche, établissement du contrat de travail, calcul et versement de la rémunération, déclarations sociales et fiscales, visite médicale…) matérialisés par un coefficient multiplicateur.

Le point d’achoppement entre acteurs porte ainsi essentiellement sur la marge. Au cœur de celle-ci, le dispositif de réduction générale des cotisations patronales sur les bas salaires (autrefois appelée réduction Fillon et instaurée en 2003 dans le but de réduire le coût du travail et donc le taux du chômage). En leur qualité d’employeur, les ETT bénéficient pleinement des réductions sur les rémunérations inférieures à 1,6 Smic par an (leur montant est maximal lorsque le salaire est égal au Smic etdécroit jusqu’à devenir nul lorsque le salaire atteint 1,6 Smic). A titre d’exemple, les ETT peuvent percevoir jusqu’à 400€/mois/intérimaire.

Si ces dernières années, certaines entreprises utilisatrices ont fait pression pour récupérer ces sommes, elles se sont trouvées face au diktat de la loi. En effet, la Cour de cassation a rendu le 3 mars 2017 un avis sans équivoque : « les allègements de charges sont un droit des sociétés d’intérim, qui n’ont aucune obligation de les rétrocéder à leurs clients.  Les ETT sont les employeurs donc seules elles peuvent prétendre aux allègements de charges. »

Pour autant, le contexte actuel étant cequ’il est, les ETT n’hésitent pas à faire profiter leurs clients de tout ou partie de ces allègements en leur proposant des coefficients plus attractifs.

Digitaliser pour réduire les coûts

Accroître ses parts de marché et proposer des coefficients concurrentiels, c’est aussi acquérir des acteurs technologiques leaders. Le digital au cœur de la lutte.

Si la transformation numérique des ETT est en marche depuis près de 20 ans, la criseCovid-19 s’est illustrée par le développement spectaculaire des pure players du digital et d’acteurs sur le modèle Uber misant sur la combinaison plateformes numériques et travailleurs indépendants. Selon DirectSkills, le chiffre d’affaires du recrutement digital a été multiplié par 8 entre 2019 et 2021, et l’étude « Une nouvelle ère pour l’intérim digital ? », de Xerfi publiée en 2022estime que le digital représentera au moins 3,6 % du marché du travail temporaire en France en 2024.

L’engouement est tel que nous assistons à une véritable ruée vers l’or ! Pour rester dans la course, les ETT conventionnelles font preuve d’opportunisme et rachètent ces acteurs qui pourraient leur faire de l’ombre. Ces derniers sont dotés d’outils digitaux qui prendraient trop de temps à concevoir et déployer. Le groupe Adecco a ouvert le bal en 2021 en prenant le contrôle du N°2 français de l’intérim 100% digital Qapa. Il a été suivi en 2022 par le Groupe Randstad France qui rachète alors Side. « L’avance technologique de cette plateforme est un atout concurrentiel majeur au service de notre objectif premier : faire se rencontrer des recruteurs et des talents dans un marché de l’emploi de plus en plus tendu », indique Christophe Montagnon, Chief Digital Officer du Groupe Randstad France, dans son communiqué de presse. En 2023, c’est autour d’Iziwork, plateforme d'intérim digitale créée en 2018, qui s’appuie sur un réseau de travailleurs indépendants en télétravail, d’être rachetée par Proman,un groupe familial placé à la 4ème place européenne.

Et on comprend aisément pourquoi le digital a le vent en poupe. Ses atouts sont indéniables : captation 24h/24, 7j/7 de tous types de profils même hors circuits conventionnels ; matching des profils grâce à l’intelligence artificielle (85%des offres sont pourvues en moins de 5 heures quand il faut des délais plus longs aux agences physiques) ... Et ce avec des coûts d’exploitation bien plus bas que les agences physiques. En effet, elles n’ont quasiment pas de frais immobiliers et peu de charges salariales voire aucune si elles font appel à des travailleurs indépendants sur le modèle Uber. Leurs tarifs sont donc très attractifs : jusqu’à 30 % inférieurs à ceux proposés par les ETT conventionnelles. L’offre de gestion devient ainsi particulièrement rentable.L’entreprise utilisatrice et l’intérimaire envoient en un seul clic les documents afférents à la mission, la plateforme gère les contrats de travail qui peuvent être signés électroniquement, les relevés d’heures, les bulletins de salaire, les factures, le paiement des salaires des intérimaires. Sans compter que la digitalisation réduit le risque de coûteuses erreurs humaines.

Pour autant, tous ces acteurs conviennent que seule la combinaison digital et physique se traduit en valeur ajoutée. Cette stratégie appelée « Tech and Touch » chez Randstad porte bien son nom car elle consiste à mettre le meilleur de la technologie au service de l’humain. En effet, seule l’association des deux modèles répond conjointement aux attentes des entreprises utilisatrices et des talents intérimaires. Les besoins et les enjeux de chacun sont uniques. De plus, comme l’annonce Iziwork dans son baromètre consacré à l’emploi intérimaire, si la volatilité est la règle chez ces talents - un intérimaire s’inscrit en moyenne dans 3 agences- ils attendent de plus en plus de services dont des formations et des relations intuitu personae. On notera également queles séniors dont l’emploi intérimaire est renforcé grâce au dispositif cumul «emploi-retraite » sont plus à l’aise dans les relations directes personnalisées.

Faire la chasse aux mauvais payeurs

Maintenir sa rentabilité c’est aussi faire face à l’accroissement notoire des coûts bancaires. En cela, les ETT aimeraient convaincre leurs clients de respecter voireréduire les délais de paiement.

Comme alerte laBanque de France, ce sont des dizaines de milliards € de trésorerie dont les entreprises sont privées tous les ans en raison de retards de paiement : «Un handicap pour la croissance, un frein à l’investissement, un risque sur la pérennité et une menace pour l’emploi. » Altarès, cabinet expert de l’information sur les entreprises, illustre les effets délétères avec l’exemple d’une entreprise réalisant 360 K € de chiffre d’affaires et subissant 10 jours de retard de paiement. « Pour un coût de l’argent de 1%, c’est 10 000 € de moins pour son résultat financier. Avec une inflation de 6% comme en novembre2022, le coût des retards de paiement était 6 fois plus élevé ! » sans compter qu’au financier, il faut ajouter les coûts administratifs du recouvrement et des relations client-fournisseurs dégradées.

Pour y faire face, selon les cas, les ETT disent vouloir accroître les tarifs des prestations réalisées pour des clients identifiés de longue date comme mauvais payeurs.

 

Conclusion

Le marché de l’intérim n’est pas un long fleuve tranquille et 2024 sera n’en doutons pas riche de rebondissements.

L’inflation des prix dans les autres secteurs d’activité ne vont pas permettre aux ETT d’augmenter leurs tarifs en 2024. Elles vont donc devoir être inventives pour préserver les marges.