Si la hausse des prix de l’énergie s’est invitée brutalement dans la campagne des présidentielles tant le sujet est sensible pour les particuliers, il ne faut pas oublier que les industriels sont très sensiblement impactés par une augmentation historique des tarifs de l’électricité du marché de gros sur lequel s’approvisionne les fournisseurs. Sur ce marché il ne s’agit plus d’une variation classique des prix dans une fourchette située entre 40 à 55 € le MWh mais d’une multiplication par 10 ! En effet, de record historique en record historique, le cours de l’électricité a atteint le 22 décembre 2021, le niveau stratosphérique et inédit de 407 €/MWh.
Entre tarifs stratosphériques et menaces de black-out, les inquiétudes sont vives dans le rang des entreprises consommatrices.
Certains facteurs structurels permettent d’expliquer cette tension remarquable sur le marché de l’électricité, comme la hausse du prix du CO2, celle des coûts de maintenance des centrales nucléaires françaises et des réseaux de distribution ainsi que l’augmentation des prix du gaz.
Cette source d’énergie primaire utilisée de part et d’autre du globe pour produire de l’électricité a été considérablement demandée avec la reprise de toutes les économies à la sortie des confinements Covid-19. Et la France, même si elle dispose d’un parc de centrales électronucléaires assurant 67,1% de la consommation d’électricité, doit y avoir recours pour satisfaire les pics de consommation. Or, comme tant d’autres pays européens et d’ailleurs, elle importe l’intégralité de cette ressource d’énergie primaire de Russie -à hauteur de 40% des besoins-, de Norvège ou encore d’Algérie. L’Hexagone comme le reste de l’Europe s’est ainsi retrouvé en concurrence avec la Chine qui, pour relancer son économie, a puisé dans le gaz russe. D’autres explications sont à trouver dans la spéculation et dans les tensions géopolitiques. Certains experts envisagent la possibilité que des méthaniers aient servi l’Empire du Milieu avant de satisfaire les contrats européens. D’autres évoquent l’impact les relations diplomatiques complexes entre la Russie et l’Europe au sujet de l’Ukraine, retardant peut-être la mise en service du gazoduc Nord Stream 2, reliant directement la Russie à l’Allemagne, et affaiblissant ainsi le poids géopolitique de l’Ukraine. A ce sujet, retenons le communiqué de l’AIE – Agence internationale de l’énergie- publié en septembre 2021 : « Sur la base des informations disponibles, la Russie remplit ses contrats de long terme vis-à-vis des pays européens… Mais ses exportations vers l’Europe sont en baisse par rapport à leurs niveaux de 2019… La Russie pourrait faire plus pour augmenter la disponibilité du gaz en Europe. »
Ces facteurs expliquent l’orientation à la hausse du marché mais non son ampleur. Certains auraient-ils profiter de ce contexte pour spéculer sur le marché et ce faisant, amplifier sa volatilité ?
Si le marché s’est détendu depuis début janvier en passant de 400 à 140€/MWh (calendar n+1) il reste à des niveaux historiquement hauts. Conscient que les entreprises ne pourront pas répercuter intégralement cette flambée incroyable des prix sur leurs clients, voulant à tout prix éviter un mouvement inflationniste et de peur que cette hausse n’hypothèque la compétitivité de l’économie française, l’État français essaye d’actionner les leviers dont il dispose pour contraindre la variation des tarifs de l’électricité. Le premier est lié à un abaissement de la Taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE) qui passera dès le 1er février de 22,50 € à 0,50€. Mais le flou persiste car personne n’en connaît encore les modalités faut de parution au J.O..
La seconde mesure, activée conjointement, est liée au mécanisme de l’Arenh, véritable bouclier de l’État français, propriétaire à 84% d’EDF, le producteur historique d’électricité en France. L’Arenh - accès régulé à l'électricité nucléaire historique- est un dispositif propre à la France qui via le parc de centrales électronucléaires français d’EDF fournit aux clients une électricité au tarif concurrentiel de 42€/MWh. A ce prix, s’ajoute depuis la loi Nome de mise en concurrence, l’obligation d’EDF de vendre à ce prix une partie de l’électricité qu’elle produit aux acteurs alternatifs. Il était jusqu’à ce jour de 100 TWh. Mais pour faire face à la crise énergétique, l’État français a relevé ce plafond à 120 TWh afin que les fournisseurs alternatifs puissent faire bénéficier leurs clients d’une électricité bon marché à prix fixe. En contrepartie, le tarif a été relevé à 46,20€/MWh. Cependant, si l’action est positive pour les entreprises consommatrices, nous sommes bien loin des 160 TWh déjà contractualisés par ces dernières pour 2022 ! Il reste en effet 40 TWh qui devront être financés sur le marché de gros au prix du moment, soit plus de 200€ /MWh. De quoi mettre à mal leur compétitivité ! On relève déjà des défaillances aussi bien chez les fournisseurs alternatifs d’électricité que chez les industriels dont ceux de l’aluminium.
Barbara Pompili, ministre de la transition écologique, a annoncé que la France allait peut-être connaître de légères coupures d’électricité durant l’hiver 2022 : « Le risque principal se situe en cas de grosse vague de froid et de surcharge du réseau électrique. » Ce risque de coupures serait expliqué par les arrêts pour raison de maintenance et de contrôle de sûreté de plusieurs réacteurs du parc français dont les travaux ont été décalés en raison des confinements. Et s’est ajouté depuis décembre 2021 l’arrêt de 4 réacteurs supplémentaires. C’est donc aujourd’hui 17 unités à l’arrêt sur les 56 du parc alors que les beaux jours sont encore loin. Pour rappel, en hiver, les besoins en chauffage des particuliers s’ajoutent aux besoins des industriels.
Les entreprises ont de quoi être dubitatives quant à ces menaces de coupures. En effet, au-delà des arrêts de centrales électronucléaires, dont pourtant la majorité est planifiée de longue date, des mécanismes de capacité existent depuis 2017 pour éviter ces coupures. En effet, les entreprises payent, à l’instar de tous consommateurs d’électricité, une contribution qui a pour objet d’indemniser les industriels en mesure – soit parce qu’ils ont moins de besoins, soit parce qu’ils disposent de leurs propres capacités de production d’électricité- de s’effacer les jours de surcharge sur les réseaux. Cette contribution dont l’enveloppe atteint les 1,5 milliards € annuels a également pour vocation de financer de nouveaux moyens de production d’électricité dédiés à l’équilibre du réseau lors des périodes de forte demande. On peut donc légitimement se questionner sur l’efficacité de cette taxe.
Malgré l’accroissement du prix Arenh de 42€MH à 46,20€Mh, le relèvement du plafond de 100à 120 TWh, actionné par le gouvernement français, a fortement déplu aux dirigeants et aux syndicats d’EDF. Ces derniers, se basant sur les prix de marché actuel de 400 €/ TWh, y voient un manque à gagner de 7,7 à 8,4 milliards €. Un chiffre qu’il faut modérer. En effet, leur calcul se base sur le prix du pic du 22 décembre 2021. En prenant une valeur moyenne des 15 premiers jours de décembre sur le marché de gros, soit 204€/Mwh - prix de remplacement de l’écrêtement-, la « perte » pour EDF serait de 20 TWh x (204€ – 46,20€), soit 3,2 milliards d’€. Attendons donc la publication des comptes 2021 de l’électricien pour savoir si ce coût est si insupportable que cela, on a rarement vu un producteur présenter de mauvais résultats quand le marché est au plus haut.
Au-delà de ces éléments financiers, le raisonnement d’EDF laisse perplexes les clients historiques de l’opérateur, entreprises comme particuliers. En effet, EDF s’enferme dans une position victimaire sans un mot pour ses clients alors que l’entreprise est largement responsable de la tendance haussière du marché et la chute de son cours de bourse : si la livraison de l’EPR de Flamanville n’avait pas été retardée une énième fois et une plus grande partie des réacteurs nucléaires en service, nous n’en serions pas là.