Toutes les entreprises, et en particulier les industriels, s’inquiètent des niveaux stratosphériques des prix de l’énergie tant ils impactent leur compétitivité voire leur pérennité. Et cette angoisse est prégnante tant l’avenir proche ne montre aucun signe d’embellie. En effet, une baisse drastique des prix du gaz et de l’électricité n’est pas annoncée. Et pire, des ruptures d’approvisionnement pourraient être à craindre. Nous dirigeons-nous vers un nouveau « normal » ? Quels leviers les entreprises peuvent-elles actionner pour maîtriser tant que faire leur budget énergie ?
A contexte unique, réponse inédite.
En effet, le gouvernement français a instauré le 19 juillet 2022 un nouveau volet à son plan Industrie Zéro Fossile. Cette enveloppe, nommée DECARB-Flash, de 150 millions € de subventions, vise à accélérer la transformation énergétique des entreprises notamment des PME et ETI. Découvrons !
Depuis le deuxième trimestre 2021, les prix de l’énergie n’ont cessé de flamber jusqu’à atteindre des niveaux élevés extraordinaires. Les prix de l’électricité et du gaz ont même été multiplié par dix en un an. L’origine de ce phénomène inédit est plurielle.
Les premiers mouvements à la hausse se sont fait ressentir dès la levée des confinements et des restrictions liées à la crise sanitaire de la Covid-19. En effet, après un temps suspendu, le monde entier a repris simultanément ses activités poussant l’Asie, l’usine du monde, à capter une grande part de la production mondiale de gaz, laissant l’Europe sur le banc de touche. « De plus, les pays producteurs de gaz, ayant eux aussi subi les confinements, ont eu du mal à renouer avec les niveaux de production d’avant Covid-19. Les prix ont donc mécaniquement crû dès le deuxième trimestre 2021 », explique Patrice Berruet, Directeur associé d’Euklead, Expert Énergie. En outre, cette année-là, une grande partie du globe a eu à faire face à un hiver rude. « Nous avons tous puisé dans les réserves. Depuis, celles-ci étant stratégiques, tous les pays consommateurs, notamment la France et le reste de l’Europe, n’a de cesse de les reconstituer. Cette pression supplémentaire alimente inexorablement le maintien du trend haussier des prix de cette énergie. Et ce d’autant plus que l’offre n’a toujours pas atteint son optimum », précise l’expert. En effet, la Norvège, principal fournisseur de gaz de la France, peine à accroître sa production depuis l’incendie d’une de ses installations en 2021. Ainsi, en janvier 2022, le prix du gaz sur le marché européen de gros fluctuait entre 75 et 90 € /MWh contre moins de 20 €/MWh en 2021. A ce contexte défavorable, se sont ajoutés les impacts collatéraux du conflit Russo-Ukrainien. En effet, la Russie, principal producteur mondial de gaz, a en représailles des dispositions de l’Occident fermé les gazoducs alimentant l’Europe. Ce faisant, inexorablement, les prix du gaz ont atteint des sommets dont un record, le 26 août 2022 à 297,35 € /MWh. « Nous sommes loin d’une situation normale historique avec des prix compris entre 15 et 25 €/MWh », dit Patrice Berruet.
Et comme si cela ne suffisait pas, le prix de l’électricité a également flambé. « C’est logique, car celui-ci est lié pour partie au prix du gaz. Cette énergie primaire est utilisée en France pour répondre aux besoins ne pouvant être satisfaits par les centrales électronucléaires et les installations solaires, éoliennes, hydrauliques... Mais l’explication la plus significative se trouve dans une production électronucléaire en berne du fait des opérations de maintenance des centrales nucléaires françaises. La moitié du parc de réacteurs national est à l’arrêt ! », annonce Patrice Berruet. Ainsi, mécaniquement toujours, la demande étant supérieure à l’offre, les prix de l’électricité ont eux aussi atteint des niveaux records entre 900 € et 1000 €/MWh sur le marché de gros alors qu’avant la crise ukrainienne, ils étaient de l’ordre de 130 € / MWh. « Ils sont à comparer avec les 40 à 50 € / MWh des 10 dernières années avant crises », indique Patrice Berruet.
Et cette situation critique s’annonce durable. En effet, les prix de l’énergie toutes composantes confondues (production, transformation, transport, taxes...) sont estimés demeurer élevés. « Nous ne reviendrons certainement jamais aux prix initiaux. Il est fort à parier que les prix de l’électricité du prochain « normal » fluctueront dans une fourchette, quoique stable, bien au-delà des 50€/MWh », estime Patrice Berruet avant de poursuivre : « Dans tous les cas 2023 s’annonce intenable pour les entreprises qui ont contracté leur approvisionnement sur les marchés de gros en 2022 au sommet des prix records. Leur budget énergie va flamber et impacter lourdement leur compétitivité. Et c’est sans compter que de nombreux experts anticipent également des coupures d’électricité dès cet hiver 2022. »
Sans gaz et sans électricité, la France s’étrangle. Elle doit réagir. Et dès ce jour. Les plus anciens d’entre nous renouent avec les injonctions à la sobriété des fameux slogans de « la chasse au Gaspi » qui ont fait florès lors des chocs pétroliers de 1973 et 1979 qui conjuguaient eux aussi prix en augmentation constante avec menace de pénurie. Et cela n’a pas manqué ! Les patrons des groupes français de l'énergie - Engie, EDF et TotalEnergies- dans leur tribune du JDD le 28 juin 2022, faisaient appel à un effort collectif immédiat et massif afin de prendre le virage de la sobriété. Ou le gouvernement ces derniers jours. « Comme il y a 50 ans, sont invoqués la réduction des consommations d'énergie, la souveraineté énergétique et le maintien du pouvoir d’achats auxquels s’adjoint aujourd’hui la décarbonation de l’économie en vertu de la lutte contre le réchauffement climatique », annonce Patrice Berruet
En réponse à ce contexte inédit et à ses conséquences nuisibles sur l’économie nationale, l’État a mis en place au printemps 2022 pour les industries les plus exposées aux hausses des prix de l’électricité et du gaz, des soutiens d’urgence ciblés. « Cette aide est dédiée aux entreprises dont les dépenses de gaz et d’électricité représentent au moins 3 % de leur chiffre d'affaires », affirme Rachel Champeymond, Directrice associée d’Euklead, expert Aides et Subventions.
Pour compléter cette mesure d’urgence, l’État a ouvert un vaste plan d’investissement dénommé Industrie Zéro Fossile, avec 2 premiers volets sur la chaleur bas carbone et les larges plans d’investissement supérieurs à 3 millions €. En juillet 2022, le troisième volet d’aides DECARB-Flash a été lancé. Il est dédié aux entreprises de moins de 500 salariés qui investissent dans des solutions de décarbonation éprouvées, rapides à mettre œuvre en matière de process et de bâtiment, et dont les coûts d’investissement sont compris entre 100 K€ et 3 M€. Ce dispositif simplifié constitué d’une enveloppe de 150 M € a pour objectif, comme celui destiné aux grosses industries, de réduire rapidement et drastiquement la dépendance de la France aux énergies fossiles tout en diminuant les émissions de gaz à effet de serre de l’industrie – de 35% d’ici 2030 et de 81% d’ici 2050 par rapport à 2015-. « Les subventions peuvent couvrir jusqu’à 55 % de l’investissement », annonce Rachel Champeymond qui ajoute : « Aujourd’hui sonne le quoi qu’il en coûte de l’énergie ! »
Ainsi, comme l’affirment Patrice Berruet et Bastien Faure-Brac, conseiller technique du cabinet Apus Energy Consulting : « Il s’agit de changer de paradigme et de s’inscrire dans une industrie sobre en énergie. »
En ces termes, quatre voies subventionnées s’offrent aux entreprises :
« Parce que l’énergie la moins chère est celle que l’on ne consomme pas », comme le soutient Patrice Berruet, il est crucial d’identifier toutes les sources de pertes d’énergie et tous les potentiels d’augmentation de l’efficacité énergétique.
C’est l’objet de l’audit du même nom. Durant cette étape préliminaire à tout investissement, les experts passent au crible tous les postes de l’entreprise, des bureaux comme des sites de production et tous les équipements. « Grâce à des outils de mesure performants dont la thermographie, nous mesurons l’efficience énergétique des installations et de tous les outils de production afin d’identifier les zones de pertes d’énergie », précise Bastien Faure-Brac qui poursuit : « Cela nous permet d’élaborer une stratégie de transition énergétique sur mesure séquencée du court au long terme, intégrant des solutions techniques en adéquation avec les contraintes du site. Nous listons les actions, les hiérarchisons en fonction des coûts de l’investissement, de la complexité de mise en œuvre et des économies générées.»
Les budgets pouvant être conséquents, il est judicieux pour les entreprises de faire appel à des cabinets spécialisés capables d’identifier les actions et équipements pouvant leur faire bénéficier de subventions de l’État. « Sans compter que dans le cadre de DECARB-Flash, les audits, mesures et analyses peuvent être subventionnés s’ils sont suivis d’au moins un investissement matériel s’inscrivant dans le cahier des charges du dispositif », affirme Rachel Champeymond.
Consommer moins d’énergie pour le même service rendu par celle-ci est majoritairement affaire d’amélioration de l’existant. L’isolation en est un des principaux vecteurs éprouvés. Une entreprise spécialisée en la matière, Ecofys, estime même qu'une isolation performante « peut permettre de réduire les pertes de chaleur de 50 à 60% dans de nombreuses usines. »
« Son impact est double. Au-delà de résulter en économies notoires sur le budget chauffage, l’isolation permet de réduire considérablement l’empreinte carbone », poursuit Rachel Champeymond qui insiste : « C’est la raison pour laquelle cette mesure est soutenue avec force par l’État qui a créé de nombreuses initiatives dévolues à la rénovation thermique des bâtiments. Ainsi, toutes les actions d’isolation de combles, rampants de toiture, plafonds, toitures-terrasses, murs ou encore planchers sont subventionnables.» « Les industriels sont également invités dans le dispositif DECARB-Flash à isoler les équipements, les tuyauteries et tous les réseaux de fluides », ajoute Bastien Faure-Brac.
Transformer les pertes en gains est sans doute le cœur du sujet de l’efficacité énergétique des industries. Et parmi les actions à privilégier : la récupération de la chaleur fatale qui, pour l’industrie française présente selon l’ADEME un potentiel de 109,5 TWh, soit 36 % de sa consommation de combustibles. « Pour faire simple, la chaleur fatale est la chaleur issue des activités de fabrication et de transformation voire de celle générée par les serveurs informatiques dans les Data Centers et qui est tout simplement rejetée tel un déchet sans valeur », précise Bastien Faure-Brac.
Si par le passé, on acceptait ce gaspillage parce que l’on ne savait même pas le quantifier, la donne a changé. Comme l’a annoncé Emmanuel Macron jeudi 24 août 2022 : « Nous assistons à une grande bascule, nous vivons la fin de l'abondance, des évidences et de l'insouciance. » C’est d’autant plus vrai dans le contexte que l’énergie perdue a été payée par l’entreprise et que les technologies actuelles permettent de la récupérer et de la valoriser. En effet, elle peut satisfaire d’autres besoins de chaleur ou d’électricité de l’entreprise concernée comme être revendue à d’autres acteurs tels ceux du logement. « Nestlé, par exemple, récupère l’air chaud sorti des tours de séchage des grains de café pour préchauffer l’eau destinée au chauffage de ses bâtiments. C’est 3000 MWh de gaz économisés », dit Bastien Faure-Brac. De la même façon, les industries peuvent valoriser la chaleur fatale des compresseurs en la récupérant pour chauffer leurs ateliers. « Grâce à des solutions simples à mettre place, nous avons permis à un client de substituer 40% de fuel par la chaleur fatale récupérée des compresseurs », dit Bastien Faure-Brac. Et c’est la même concernant le frigorifique car pour produire du froid le système retire de la chaleur à une source chaude (air, eau, etc), pour la ventilation, la climatisation…
Le contexte actuel de prix stratosphériques des énergies conventionnelles et les pressions en termes de changement climatique font de l’autoproduction d’électricité à partir d’énergies renouvelables un véritable levier de compétitivité.
« Ces sources d’énergie permettent aux entreprises de s’affranchir des réseaux historiques et de contourner ainsi les menaces qui pèsent sur l’approvisionnement en électricité », confirme Patrice Berruet. En effet, en cas de crise sévère, le gouvernement n’hésitera pas à brandir l’épouvantail de l’effacement ; une pratique qui vise à réduire voire à suspendre la livraison d’électricité. « En plus, les renouvelables comme principalement le photovoltaïque ont l’avantage d’être synonymes d’une plus grande sérénité car leurs coûts sont prévisibles sur le long terme », dit Patrice Berruet. « Notons que le solaire thermique (utilisé par exemple pour préchauffer l’eau des chaudières) satisferait aisément aux 30% de l’énergie finale consommée dans l’industrie française pour des températures de moins de 200°C. », ajoute Bastien Faure-Brac. « La biomasse et la géothermie sont aussi une des énergies locales de proximité qui ont les faveurs du plan Industrie Zéro Fossile », ajoute Rachel Champeymond. « En chaudière ou directement en four, la biomasse a pour avantage de répondre à une très large gamme de besoins de chaleur », affirme Bastien Faure-Brac.
Pour accompagner ce mouvement synonyme pour les entreprises d’indépendance aux énergies fossiles notamment du gaz tout demeurant compétitives, DECARB-Flash soutient les investissements en équipements électriques. « Il peut s’agir d’investir dans des systèmes de chauffage électriques, des chaudières industrielles électriques ou encore de fours industriels électriques en remplacement d’anciens équipements », dit Rachel Champeymond.
Les subventions DECARB-Flash seront attribuées aux PME et ETI qui mettront en œuvre rapidement - dans un délai maximal de 2 ans- des solutions visant la décarbonation de leur activité et l’efficacité énergétique des bâtis et des matériels telles qu’évoquées ci-dessus. Notons que, parce que la liste est longue et précise, il est conseiller de faire appel à des conseillers experts en matière d’énergie et de subventions.
Pour en bénéficier, les entreprises devront soumettre aux autorités dédiées les devis des prestataires, équipementiers et fournisseurs avant le 3 novembre 2022 et avoir engagé les travaux et installations. Ce n’est qu’a posteriori qu’elles percevront des subventions. « Il faut souligner que les équipements et actions diverses doivent être conformes aux cahiers des charges de l’État. Les matériels doivent être aux normes et de dernière génération pour répondre parfaitement aux attentes en termes d’efficacité énergétique », ajoute Rachel Champeymond.
« Parallèlement aux investissements matériels, les entreprises sont appelées à faire preuve de bon sens », dit Patrice Berruet.
Ainsi, comme l’a intimé la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, couper le renouvellement d'air la nuit, baisser la température dans les points de vente à 19 degrés et fermer les portes quand la climatisation fonctionne, sont des mesures faciles à mettre en œuvre et qui sont synonymes de baisses immédiates des consommations. « Réduire le chauffage de 20 à 19 degrés, permet de faire une économie de 7% sur la consommation énergétique. Selon Engie, sur une durée de 1 an, la France épargnerait ainsi le volume équivalent d'une douzaine de navires méthaniers », souligne Patrice Berruet. D’autres pratiques inculquées aux particuliers sont valables pour les entreprises. Ainsi, opter pour des ampoules à LED divise par 10 la consommation d’énergie dédiée à l’éclairage et éteindre les équipements informatiques plutôt que de les laisser en veille se traduit en économies sur le budget énergie. « Des applications numériques permettent d’automatiser et de piloter toutes ces tâches », poursuit Bastien Faure-Brac.
En quelques mots, la sobriété énergétique est affaire de comportements simples de la part de chacun, y compris en entreprise. « 10% des gains d’énergie trouvent leurs sources dans les habitudes quotidiennes », confirme Patrice Berruet. « Pourquoi démarrer une machine trois heures avant son utilisation alors qu’une suffit ? Pourquoi nettoyer un équipement en soufflant de l’air comprimé ? C’est une hérésie car cet outil est le plus énergivore qui soit. Malheureusement, ces habitudes énergivores demeurent ancrées comme des us et coutumes inaltérables dans les industries », conclut Bastien Faure-Brac.